Pour que le 14 juin ne reste pas lettre morte

Le 14 juin dernier, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de Suisse pour réclamer des mesures pour l’égalité entre femmes et hommes. En Valais, alors que le mouvement était moqué par les milieux conservateurs, le succès a dépassé nos espoirs les plus fous : 12’000 personnes ont manifesté dans les rues de Sion, sans compter les innombrables actions organisées dans des écoles et sur des lieux de travail, avec le soutien des syndicats. Cette mobilisation ne fut possible que grâce au travail gigantesque organisé par les Collectifs.

Pour nous qui avions symboliquement cloué, le 14 juin 2018, un manifeste féministe sur le Palais fédéral, c’était un moment fort de voir cette forte mobilisation populaire une année plus tard. Le 14 juin 2019, dans les rues de Sion, j’ai pleuré d’émotion et de bonheur. Tou-te-s ces Valaisan-ne-s mobilisé-e-s lançaient un signal puissant au monde politique : les inégalités et les discriminations, ça suffit !

La journée du 14 juin a réussi à imposer la question de l’égalité dans l’agenda politique. A un mois des élections fédérales, beaucoup font tout pour que ce thème soit oublié. La peur que rien ne change est bien présente. Et justifiée, comme le confirme le violent refus par le Conseil national, la semaine dernière, de mon postulat consacré à la lutte contre le harcèlement de rue.

Pour éviter que les mêmes décisions sexistes et injustes soient prises au Parlement durant les quatre prochaines années, il faut élire une majorité d’élu-e-s favorables à l’égalité. Le Manifeste pour la grève du 14 juin, que je soutiens à 100%, devrait être un document sur lequel nous appuyer pour agir durant la prochaine législature.

Durant ces quatre dernières années, j’ai déposé et défendu à Berne de nombreuses propositions inscrites dans le Manifeste. Elles ont presque systématiquement été balayées par la majorité en place. Bref état des lieux :

  • L’égalité salariale : Alors que les différences salariales avoisinent toujours les 20% dans le secteur privé (les écarts sont même plus grands en Valais qu’en moyenne nationale), nous avons besoin d’une législation qui permette enfin de mettre en œuvre le principe constitutionnel « à travail égal, salaire égal ». Pour agir efficacement contre les discriminations salariales, il faut des contrôles et infliger des sanctions à ceux qui ne respectent pas la loi. Dans le cadre du débat de septembre 2018 au Conseil national, nous avons tenté sans succès de défendre une loi efficace. J’y ai déposé une multitude de propositions pour renforcer cette législation minimaliste et toutes ont été repoussées par l’ensemble des élus PDC-PLR-UDC. Nous avons notamment échoué à faire appliquer cette loi à au moins 50% des employé-e-s de notre pays et à maintenir les contrôles chaque 4 ans, pour les entreprises même si l’égalité est respectée une fois. Le Parlement a malheureusement préféré une version où tout juste 0.8% des entreprises seront concernées par la loi (détail du vote) et où les entreprises ayant passé le contrôle une fois ne devront plus jamais s’y soumettre (détail du vote). A défaut d’obtenir des sanctions pour les entreprises refusant de respecter l’égalité salariale, nous avons tenté d’obtenir qu’elles soient inscrites sur une liste noire, comme c’est le cas pour le travail au noir. Là encore, le Conseil national s’y est massivement opposé, considérant que les discriminations salariales n’étaient pas un problème aussi grave que le travail au noir (détail du vote). Enfin, nous avons tenté de ne pas inscrire de durée de validité de la loi. La nette majorité du Conseil national a préféré inscrire que la loi ne serait valable que 12 ans, tant ces parlementaires semblaient pressés de supprimer la législation minimaliste que nous venions de voter (détail du vote). Plus récemment, le Conseil national s’est opposé, en juin 2019, à une initiative du canton de Genève proposant de donner aux cantons la possibilité d’agir pour faire respecter l’égalité salariale sur leur territoire (détail du vote).

En somme, après cette maigre avancée obtenue durant cette législature sur l’égalité salariale, il nous faut revenir à la charge avec le nouveau Parlement qui sera élu le 20 octobre. Nous avons déjà déposé plusieurs initiatives parlementaires en ce sens (iciici ou encore ici), en espérant qu’elles seront traitées favorablement en 2020. Des discussions autour du lancement d’une initiative populaire (par le PSS ou les syndicats) sont aussi en cours.

Enfin, il faut aussi de toute urgence revaloriser les conditions de travail et les salaires dans les secteurs où les femmes sont surreprésentées (social, santé, éducation de l’enfance, économie domestique…).

  • Le harcèlement sexuel : depuis #MeToo, la Suisse n’a pris aucune mesure concrète contre le harcèlement sexuel. Je me suis retrouvé face à un mur, tant en commission que face au Conseil fédéral, lorsque j’ai proposé des campagnes de prévention, de l’éducation au consentement ou encore un plan d’action global contre le harcèlement sexuel. Le Conseil fédéral s’oppose aussi à combattre plus sérieusement le harcèlement sexuel sous l’angle pénal. Le Conseil national a de son côté sèchement refusé, le 10 septembre 2019, mon postulat demandant d’évaluer l’ampleur du harcèlement de rue et les mesures possibles pour le combattre (détail du vote). Pour ce qui est du harcèlement sexuel au travail, le Conseil national a refusé mon initiative parlementaire proposant d’alléger le fardeau de la preuve pour rééquilibrer la situation et donner une chance aux victimes devant les tribunaux (détail du vote). Seul bémol positif : l’acceptation par le Parlement de mon postulat pour une nouvelle étude générale sur le harcèlement sexuel en Suisse. La dernière étude de ce type ayant plus de 10 ans.
  • Taxe rose : la taxe rose désigne les différences de prix entre produits et services spécifiquement destinés aux femmes ou aux hommes. Une étude récente menée aux Etats-Unis a conclu que les produits courants destinés aux femmes étaient plus chers de 7% en moyenne, sans que la qualité ne soit différente. Les consommatrices sont donc victimes de cette arnaque. J’ai défendu en février 2018 au Conseil national un postulat de mon ancien collègue Jean-Christophe Schwaab demandant d’évaluer la situation en Suisse, pour déterminer les domaines où il y aurait lieu d’agir. La proposition n’a reçu le soutien que de la gauche (détail du vote ).
  • Violences domestiques / traite: alors que les chiffres sur la violence domestique font froid dans le dos (une femme meurt toutes les deux semaines sous les coups de son compagnon ou de son ex dans notre pays), ces féminicides sont trop souvent traités – tant par les médias que par la justice – avec une légèreté coupable, puisqu’ils ne sont qualifiés que de « crimes passionnels ». Notons d’ailleurs l’important travail de sensibilisation réalisé par l’association DécadréE (www.decadree.ch). Alors qu’il reste tant à faire au niveau politique, les choses ne bougent que trop doucement. Certes, malgré le refus de l’UDC, le Conseil national a approuvé en 2017 la Convention de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes (détail du vote). Les mesures concrètes tardent toutefois à se mettre en vigueur et le Conseil national a refusé en 2015 une motion du groupe socialiste demandant un plan d’action rapide (détail des votes).
    Je m’engage également, tant en suisse qu’au niveau international via l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, contre la traite des êtres humains. Forme moderne d’esclavage, la traite concerne tous les pays (y compris la Suisse !) et fait 40 millions de victimes par année, dont une large majorité de femmes. L’un des enjeux est la protection de ces victimes, qui doit être prioritaire sur la procédure Dublin.

  • Congé parental : le débat vient de se clore au Parlement fédéral sur ce sujet. Alors que la majorité PLR/UDC avait refusé en 2016 de mettre sur pied un congé paternité de 2 semaines, elle a dû céder cette fois, à l’approche des élections fédérales et sous la pression de l’initiative populaire. C’est un petit pas dans la bonne direction mais la vraie solution d’avenir réside dans un congé parental digne de ce nom, que nous avons tenté de défendre au Parlement. Malheureusement, l’unanimité des élus PDC-PLR-UDC se sont opposés à une telle proposition (détail du vote). Le débat reviendra prochainement sur la table puisqu’une initiative populaire pour un congé parental est en préparation.

  • Licenciements au retour de congé maternité : plusieurs enquêtes récentes montrent qu’en Suisse, 10% des femmes sont licenciées dès leur retour de congé maternité. Cette tendance est en augmentation depuis quelques années. C’est inadmissible. J’ai déposé en mars 2019 des propositions pour améliorer la protection contre le licenciement des femmes après leur congé maternité (ici et ici). Le Conseil fédéral propose de les refuser, estimant que le moment n’est pas opportun pour légiférer. Il faudra une autre majorité au Conseil national pour espérer gagner lors du vote en 2020.

L’égalité ne concerne pas que les personnes hétérosexuelles et les discriminations sont multiples. On peut en ce sens saluer la décision positive du Conseil national sur mon postulat pour une collecte des données sur les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, en couvrant les discriminations multiples. Le peuple devra quant à lui se prononcer en février 2020 sur la norme pénale contre la haine homophobe, après 6 ans de longs débats parlementaires. La même lenteur s’applique d’ailleurs aussi à des dossiers comme la redéfinition du viol ou la reconnaissance du travail de care.

Il ne s’agit là que d’un aperçu des multiples thématiques liées à l’égalité qui se jouent à Berne en ce moment. On pourrait encore citer le refus du Conseil fédéral de favoriser l’accès aux moyens de contraception pour les jeunes en Suisse (ces coûts étant majoritairement pris en charge par les jeunes femmes), d’améliorer la situation des femmes dans le 2epilier (le Gouvernement souhaite au contraire augmenter l’âge de la retraite des femmes), ou encore son opposition à un soutien fédéral à la création de places de crèches. Toujours en termes de politique familiale, soulevons que le Conseil national s’est opposé durant ces 4 dernières années à une certification des entreprises favorables aux familles (détail du vote) et à un droit au temps partiel dans les grandes entreprises après la naissance d’un enfant (détail du vote).

En résumé, cette législature est une législature perdue du point de vue de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations. Pour que les décisions de ces 4 prochaines années ne soient pas à nouveau dictées par une vision patriarcale et misogyne, il faut élire au Parlement des femmes et des hommes engagé-e-s pour une société plus égalitaire. Du concret, des actes, et vite !

Congé paternité : un petit pas dans la bonne direction

Aujourd’hui, le Conseil national acceptera sans doute la mise en place d’un congé paternité de deux semaines. Il serait temps. La Suisse est actuellement le seul pays d’Europe sans congé paternité ni congé parental. A la naissance d’un enfant, le père a généralement droit à un jour avant de revenir au travail, comme lors d’un déménagement. Chez nous, l’arrivée d’un nouveau-né ne semble devoir concerner que les femmes.

Une revendication de longue date du PS

Depuis plus de vingt ans, le Parti socialiste dépose régulièrement au Parlement fédéral des propositions pour mettre en place un congé paternité. Jusqu’ici, elles ont toutes été sèchement rejetées par la majorité bourgeoise. Les choses sont enfin sur le point d’avancer dans la bonne direction, grâce à l’initiative populaire pour un congé paternité de 4 semaines. Cette initiative, qui permettrait aux futurs papas de prendre de façon flexible 20 jours de congé paternité payés dans un délai d’un an après la naissance, bénéficie d’un énorme soutien populaire selon les sondages. La pression est donc forte sur le Parlement qui semble prêt à concéder une petite amélioration pour les familles. Et alors que les élus UDC et PLR avaient combattu en bloc en 2016 au Conseil national une proposition de congé paternité de deux semaines, les positions se modifient à l’approche des élections du 20 octobre.

En effet, contre l’avis du Conseil fédéral (dont la majorité de droite ne veut entendre parler ni de crèches ni de temps partiel ni de congé paternité), le Conseil des Etats a proposé avant l’été un contre-projet de deux semaines de congé paternité. La Commission de la Science, de l’Education et de la Culture du National s’y est ralliée. Le plenum du Conseil national tranchera aujourd’hui.

Du côté du Parti socialiste, nous défendons une solution plus ambitieuse, non seulement en soutenant l’initiative mais aussi en proposant un modèle de congé parental, seule véritable proposition d’avenir. Car s’il est évidemment positif d’obtenir deux semaines de congé paternité plutôt que rien, c’est loin d’être à la hauteur des attentes des familles et le risque est fort de voir la situation bloquée à ce faible niveau pour les vingt prochaines années. Surtout, une si maigre avancée ne règlera en rien les problématiques se renforçant avec la maternité : les inégalités salariales, les discriminations des jeunes femmes sur le marché du travail, la répartition des tâches domestiques, les licenciements au retour de congé maternité ou encore les temps partiels inégalement obtenus. J’ai donc fait la proposition en Commission de mettre en place une mesure ambitieuse : l’introduction d’un congé parental de 38 semaines (comme le recommande la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales). Ce congé parental serait réparti de la façon suivante : 14 semaines pour la mère (comme actuellement), 14 semaines pour le père et 10 semaines à se partager entre les parents. Ce serait alors une véritable avancée pour les familles. La proposition reste malgré tout très modérée en comparaison internationale. En effet, la moyenne de l’OCDE est de 54 semaines de congé parental. Nous resterions donc largement en-dessous de cette moyenne et loin des modèles à succès des pays scandinaves.

Financement

Plusieurs modèles de financement sont possibles. Pour la mise en place d’un court congé paternité, une légère augmentation des APG suffirait. Ainsi, une augmentation de 0.06% du taux de cotisation APG (0.03% pour l’employeur et 0.03% pour l’employé) suffirait à financer un congé paternité de deux semaines. Pour rappel, le taux de cotisation APG a été baissé de 0.05% en 2016 (passant de 0.5% à 0.45%). Il n’y aurait qu’à revenir à la situation d’avant 2016 et ce congé serait financé. Personne n’a d’ailleurs ressenti cette modification insignifiante.

Un congé parental de 38 semaines pourrait lui aussi être financé par les APG : cela nécessiterait une hausse de 0.2% pour l’employé et 0.2% pour l’employeur, selon les initiants du projet (un peu plus selon l’administration fédérale). D’autres variantes conviendraient également, comme un financement par la TVA (0.4%) ou par un financement mixte sur le modèle de l’AVS, entre des cotisations (APG en l’occurrence) et la caisse fédérale. Alors que la Confédération entrevoit un excédent de 2,8 milliards pour 2019, le financement d’un congé paternité/parental ne pose strictement aucun problème.

Un bon investissement

Au final, l’introduction d’un congé paternité/parental ne pose pas de difficulté en termes financiers ni organisationnels (moins contraignant que le service militaire) mais est surtout un bon investissement pour l’ensemble de la société : pour les familles, la conciliation entre vies familiale et professionnelle, le bien-être de la mère, l’implication du père, le développement de l’enfant, une répartition des tâches plus égalitaire, la natalité ou encore l’égalité salariale. Les retombées économiques sont également devenues incontestables (productivité, moral au travail, taux d’emploi des femmes…), ce qui explique que la plupart des grandes entreprises en Suisse ont déjà mises en place un tel congé.

Cette journée devrait donc enfin amener une avancée pour les familles, pour les pères et les mères, pour les enfants de ce pays. Ce petit pas aura été arraché dans la douleur à une majorité davantage soucieuse durant cette législature de faire des cadeaux fiscaux aux plus privilégiés que d’améliorer les conditions de vie de la population. Ce petit pas se savourera et ne sera qu’une première étape vers un congé parental et une politique familiale égalitaire.