Discours au congrès national « Auteur-e-s de violence domestique »

C’est un plaisir de m’adresser aujourd’hui à vous dans le cadre de ce congrès national consacré à la problématique de la violence domestique.
Le Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes m’a invité en me laissant carte blanche pour la fin de cette journée de discussions et d’échanges.

Comme je fais partie de cette nouvelle génération d’hommes qui n’ont pas peur de se revendiquer « féministes », je tenais à développer mon intervention autour du rôle que peuvent jouer les hommes et les garçons dans la lutte pour l’égalité entre femmes et hommes. Cet engagement a apporté par exemple des résultats dans notre combat pour l’égalité salariale, inspiré de la campagne #HeforShe d’ONU Femmes et concrétisé par le lancement d’un appel de parlementaires issus de la plupart des partis politiques suisses. Ce rôle doit aussi être joué dans la lutte contre les violences domestiques.

Si la violence peut toucher les femmes comme les hommes, vous l’avez vu aujourd’hui, les chiffres sont relativement clairs dans ce domaine :

  • Sur les 8’800 personnes inculpées que la police enregistre chaque année, 4/5 sont des hommes.
  • Sur les 9’200 personnes lésées, 3/4 sont des femmes.

Quel rôle les hommes peuvent-ils donc jouer dans le cadre de cette lutte contre la violence domestique ?
J’identifierais quatre groupes d’hommes gravitant autour de la thématique de ce jour et auxquels il faut penser dans les futures interventions dans ce domaine : les auteurs de violence, la population masculine cible de la prévention (et donc les jeunes en particulier), les acteurs professionnels appelés à agir lors de violence conjugale et enfin les hommes ayant des fonctions dirigeantes et publiques.

Pour ce qui est des auteurs de violence, il faut évidemment non seulement agir pénalement à leur encontre, mais également mettre en place des actions de consultation et des programmes socio-éducatifs. Les taux de récidives – qui vous ont été présentés aujourd’hui – font froid dans le dos. Le travail avec les auteurs de violence est donc essentiel pour assurer une protection durable des victimes. L’idéal reste évidemment, comme c’est dorénavant le cas dans mon canton du Valais, de créer une base légale permettant d’ordonner aux auteurs une consultation obligatoire. Nous montrons ainsi aux personnes inculpées que leur attitude n’est pas tolérée, qu’il y a des mesures, des sanctions. L’objectif est d’amener les auteurs de violences à prendre la mesure de leurs actes, à se confronter à leur violence et à changer leur comportement. Grâce à ce travail et à cette prise de conscience, il s’agit aussi de faire de ces hommes des témoins engagés dans la lutte contre la violence et des acteurs nouveaux de la prévention.


Il y a ensuite – et surtout –  la prévention, qui doit veiller à informer les hommes des conséquences dramatiques de la violence domestique. Garçons comme filles doivent être sensibilisés à cette thématique. Toutefois, la prévention doit faire un pas supplémentaire. Il ne s’agit pas seulement de sensibiliser les garçons dès leur plus jeune âge contre cette violence. Il s’agit également de les sensibiliser au respect mutuel, à l’égalité, et à tous ces mécanismes qui, s’ils ne sont pas effectifs, provoquent, in fine, des actes de violence. C’est en effet l’inégalité structurelle dont souffrent les femmes qui en font les victimes principales de la violence. C’est donc à ce problème-là qu’il faut s’attaquer en priorité et en profondeur. Cela peut être fait dès le plus jeune âge, par des pratiques – en crèche ou à l’école – qui ne soient pas genrées, ou par des cours d’éducation sexuelle mettant l’accent sur le respect et le consentement mutuel.

Mentionnons ensuite tous les acteurs professionnels qui sont appelés à agir en cas de violence domestique : travailleurs sociaux, avocats, policiers, médecins, personnel infirmier, psychologues, procureurs, etc. Ces derniers doivent être formés à accueillir la souffrance des victimes. Les traumatismes profonds dont souffrent ces dernières doivent faire l’objet de soins particuliers qui ne peuvent provenir simplement du bon sens. C’est donc un devoir également de former ces professionnels à cette thématique. En outre, on peut comprendre combien il peut être difficile pour une femme violentée d’être prise en charge par un homme. Il est donc nécessaire de former les hommes à cette difficulté spécifique.

Enfin, dans un monde où l’égalité homme-femme n’est pas encore totalement acquise, les dirigeants de sexe masculin se doivent d’agir et de montrer l’exemple, qu’ils soient responsables politiques, culturels ou religieux, chefs d’entreprise, ou encore personnalités médiatiques. Dans notre société encore profondément misogyne, leurs discours a un poids particulièrement fort.  Il est donc de leur devoir de transmettre un message promouvant l’égalité et la non-violence.

Voilà, en quelques mots, le rôle qui doit être joué par les hommes dans la lutte contre la violence domestique.

Mesdames et Messieurs,
A la fin de cette journée, nous pouvons nous demander si la Suisse en fait suffisamment, si les enjeux sont pris au sérieux par les responsables politiques de notre pays. Des aspects positifs doivent être relevés.
Le Conseil fédéral a intégré́, dans les objectifs du programme de la législature 2015 à 2019, l’adoption du message relatif à la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (convention d’Istanbul). Il est temps !
Au niveau cantonal, les choses bougent aussi, et notamment autour du traitement des auteurs de violence. 25 institutions proposent ou organisent des consultations et / ou des programmes de lutte contre la violence, à l’intention des personnes qui exercent la violence dans la sphère domestique. A ces institutions s’ajoute une offre moins « classique » par le biais d’une plate-forme Internet au niveau romand, «www.violencequefaire.ch» ; cette dernière a été lancée en 2006 et fournit informations et consultations  anonymes sur le thème de la violence dans le couple.
Dans mon canton du Valais, l’ordonnance d’application de la loi sur les violences domestiques entrera en vigueur le 1er janvier 2017. La loi prévoit notamment l’obligation faite aux auteur-e-s de violences domestiques expulsé-e-s de leur logement par la police de se soumettre à un entretien socio-thérapeutique, le développement et le soutien de programmes d’accompagnement pour auteur-e-s de violences domestiques, ou encore l’élaboration d’un registre des événements qui doit servir à évaluer l’ampleur du phénomène en Valais et à adapter les mesures à prendre.
Dans le canton de Vaud, également, des moyens légaux de même type sont prévus dans le récent avant-projet de loi d’organisation de la lutte contre la violence domestique (LOVD).
D’autres exemples cantonaux réjouissants pourraient être cités.

Mais, au-delà de ces éléments positifs, il nous faut voir des réalités plus sombres.
Les chiffres de la violence domestique, qui vous ont été présentés aujourd’hui, sont inquiétants. Et le problème n’est pas pris suffisamment au sérieux par le monde politique.

A titre d’exemple, le Conseil national a refusé sèchement, lors de la session de septembre, une motion du groupe socialiste qui exigeait que la violence domestique devienne une priorité de la politique nationale de la santé, comme c’est le cas pour l’alcool ou le tabac. Le Conseil fédéral et l’immense majorité du Parlement ont en effet estimé que les mesures en vigueur ou prévues étaient suffisantes. Doit-on comprendre que tout a été fait ? Que des mesures immédiates ne doivent pas être prises à l’heure où la police recense 14’000 interventions pour cause de violence domestique en 2015 (40 interventions par jour !) et 36 personnes tuées (dont 8 enfants d’âge préscolaire) ? Ne devrait-on pas en faire une priorité également dans l’optique de la protection des enfants puisque, dans la plupart de ces interventions, des enfants sont présents ? Nous sommes en droit d’attendre davantage du monde politique !

Sans oublier la décision particulièrement négative que vient de prendre la majorité de la Commission des Finances il y a dix jours : couper un million dans le budget 2017 du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, soit près d’un quart de ces moyens. Avec une telle mesure idéologique et violente, des événements tels que celui d’aujourd’hui, qui permettent de rassembler les acteurs d’un domaine, de donner des impulsions et d’échanger de bonnes pratiques, seront évidemment remis en question. C’est une honte !

Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de conclure en signalant qu’en préparant ce discours, j’ai inscrit comme mot-clef de ma recherche sur le site du Parlement « violence domestique » et « violence conjugale ». Si nous pouvons nous réjouir qu’une trentaine d’interventions ont été déposées sur ce thème depuis 2013, il nous faut constater que la quasi-totalité de celles-ci proviennent des rangs de la gauche et n’obtiennent que difficilement une majorité au plénum. Cela nous montre bien que tout reste encore à faire, tant dans la sensibilisation, dans la prévention que dans la promotion d’un discours égalitaire. La question de la lutte contre la violence domestique devrait enfin, au XXIe siècle, transcender les partis et les conflits d’intérêts pour faire l’objet d’un discours et d’une volonté unanimes.

Je vous remercie de votre attention.